[ Las Camp ] Nouveau dans la profession

Une porte coulisse et je me retrouve propulsé dans une arrière salle pas franchement joyeuse. Dans le genre déco foireuse, ça se pose là. Tonneaux rouillés et tessons de bouteilles, j’ai même cru voir un rat qui galopait. C’est pas l’endroit le plus sain de Las Camp et dire que le propriétaire a foutu sa lame crasseuse sur maa joue. Je vais choper le tétanos ou une maladie bien crados.

« Baisse la tête surtout »

Pas besoin de me le dire deux fois, j’ai vu une araignée de la taille d’un pied de vache. J’avance que grâce à la lueur du cigare que je viens de me griller, c’est à peine si la large silhouette du pater se détache dans la pénombre.
Puis une sorte de porte coulisse alors qu’on descendait plusieurs marches. Une lumière vive court dans le couloir et c’est avec un sourire presque pincé que je découvre une salle d’une centaine de mètres bourré de tonneaux, bizarreries et autres bordels en tout genre. Dans le coin à gauche, une estrade supportait un tableau en pierre où plusieurs tronches y étaient clouées.

« C’est pour pas perdre nos objectifs du viseur »

« C’est surtout le bordel »

« On a plus assez de bras pour ranger »

« Hmmm… Z’êtes combien ? »

« De membres officiels qui prônent pour le calme de Las Camp ? Une dizaine »

Bordel.

« C’est tout ? Tu te fous de ma… »

Wallace déboule dans mon dos et se dirige vers un bureau surchargé de cartons en cours de remplissage.

« C’est qu’à une certaine époque on était plus p’tit gars »

Le père déambule dans la longue pièce sous-terraine en caressant d’une main l’encolure d’un canon rouillé, l’air pensif.

« Pfff… Las Camp n’est plus la priorité, les choses bougent bien plus vite dans le monde, j’ai besoin d’être là-bas avec la cause »

Je tire sur le cigare en me calant contre le bureau, c’est vraiment à l’abandon ce truc. J’arrive plus ou moins à imaginer qu’à une époque ça fourmillait, mais là, c’est pire qu’un hospice. Je regarde quelques vieux documents que Wallace enfourne dans les contenants.

« C’est quoi ça ? »

« Des documents qu’on embarque, plus de vingt ans à rapporter les faits et gestes du gouvernement ici… Et tu prends le relais fils »

J’aime pas l’habitude qu’il prend à rattraper le temps perdu.

« Doucement l’ancien, je t’ai rien pardonné, d’ailleurs je m’en fou et je… »

Je vois ses gros bras qui me capturent, pas d’autres mots, le cigare vient lui mordre la peau et ça sent le cochon. Il me shampouine la crinière avec force avant de me lâcher. Limite, j’ai la plaie à la cuisse qui vient de se ré-ouvrir.

« T’es malade ?! »

« Tu voulais un câlin »

« Pas du tout ! Mais bordel ! »

« T’parles d’une famille »

Je déteste ça. Vivement que repasse trente piges entre nous pour pas avoir à revivre ça d’ici là.

« Bref… Hmmm… Tu me demandes de rejoindre les rangs de je-ne-sais-quoi et je dois me démerder avec ce bric-à-brac et aucun contact ? »

« Allons, allons… Je serais là Attlas… »

Cette voix… Le prêtre… Je me retourne… Banco. Je sens que cette vie ne me convient décidemment pas. Le petit gars au pif rouge passe à ma hauteur et serre la paluche au paternel.

« Cela fait une paye mon ami, tu as bien pris soin du fils, c’est un colosse Gazahaha ! »

« … Et un ivrogne comme son père »

« Vous m’avez jamais rien dis sur votre manège avec mon père… hmmm… »

J’envois une bouffé de fumée vers le religieux qui toussote avant de tourner les talons vers l’immense tableau de pierre.

« Tu n’étais pas prêt »

Il se saisit d’un mouchoir et dépoussière la stèle.

« D’ailleurs, tu ne l’es toujours pas »

J’écrase la braise du cigare contre le bois du bureau et j’avance dans la grande salle en baillant en quête d’une bonne bouteille.

« Admettons que je prenne le poste de… je sais même pas quel nom, disons républicain, je devrais faire quoi mis à part de torgnoler les pirates bruyants ? »

Le père surgit de dessus une pyramide de tonneaux.

« Repousser les Marines qui tenteraient de s’installer, regrouper des partisans et détruire les guildes criminels du coin ! Étendre la République Blanche ! Zagahahaha !»

« J’y gagnerais quoi ? »

« Une vie »

Aie. L’argument qui fait mouche. Pas mon père pour rien l’animal. République blanche, faire de Las Camp une déclinaison d'East Blue... J'y crois pas.

Tout en se curant le pif, il enchaîne.

« D’ailleurs, tu devrais commencer dès demain à recruter des gars »

« Non, pas demain, il doit retaper le Bon Ratafia »

Il a de la mémoire le curé. Les jours vont être long avec lui.

Hmmm ?

J’ai la tête qu’est toute bridée, le crâne en compote et les yeux en morceaux. Remontés chaudes dans la gorge qui percutent la glotte, courbatures à la nuque suite à une trop longue position couchée sur une surface dure et un trou de mémoire. Je suis pas doc’ mais tous les symptômes sont là pour dire que je me suis pris une cuite la veille.

Pourtant il n’ y avait aucune raison pour que l’on en arrive là, Wallace a sorti une de ses bouteilles de contrebande et… Bordel, déjà le trou noir.

Je lance un coup de yeux aux alentours, je suis allongé sur le vieux canon rouillé avec un drapeau noir en guise de couvrante, la pièce est vide, déserte, pas un chat. Hier, c’était un sacré foutoir et là je me retrouve seul sur mon unique canon. Ils auraient pu me laisser quelque chose de plus utile sur place, je sais pas, une caisse de whisky par exemple. Toujours utile pour recruter des gars, de solides gaillards fiables.

Je descend mollement de mon perchoir en me grattant la tignasse, j’ai des courbatures un peu partout, les combats d’hier m’ont laissé de sacrés bleus sur le corps. L’immense tableau est toujours là sur son estrade, il y a encore quelques visages que je connais dessus. Des gars de Las Camp à la mauvaise réputation. J’y reviendrai plus tard, il se fait faim et j’ai besoin de faire le point sur certaines choses. Je peux juste pas m’arrêter de sourire pour remercier la sainte mère de la picole qui m’a permis de me réveiller après le départ du vieux Murdock. Rien de mieux que de plus voir sa tronche, j’avais l’impression de me voir en permanence. Horrible.

Alors que je comptais repartir par la porte pour remonter vers la boutique du barbier, j’aperçois un couloir dans le fond que je n’avais pas grillé hier du fait du bordel. Après quelques minutes de marche à l’intérieur, j’entends le bruit de l’eau qui frappe la roche. Une petite grotte à la faible luminosité se dévoile lentement sous mes yeux, ça donne directement à la mer par le versant Sud de Las Camp. Parfait pour recevoir de la visite discrètement ou filer à la Ouestaise. Je comprends mieux comment ils se sont barrés ce matin et pourquoi ils s’étaient établis ici.

BRRRRR

J’ai le ventre qui grogne. Faim.

Chemin inverse et je remonte jusqu’au niveau 0 dans l’arrière salle du barbier Wallace. Vide. Il ne reste que le fauteuil rembourré et le miroir principal. Ma main vient trifouiller sous le siège et j’arrache un sourire de dément.

Clop

Glouglouglou

Sacré Wallace, il m’en a laissé une, pas mauvais le bougre, un peu vieux c’est tout.

Je retourne la pancarte « fermé » face à la rue et je claque la porte derrière moi. Je traverse la rue en sifflant ma bouteille, toujours persuadé que le mal se soigne par le mal et que je perdrais ma gueule de bois aussi sec. C’est fou, a douze ans je n’étais pas aussi claqué après une nuit de picole. Quoi ? On picole pas à douze ans ? Viens à Las Camp. Gazahaha…

Je pousse la porte du Bon Ratafia par réflexe, plus guidé par mon bide que mon esprit. Soudain, j’ai les tripes qui se serrent et je lâche la bouteille pour choper un cigare dans ma poche que j’allume aussi sec.

« Bordel… »

« A l’heure, c’est bien Attlas »

« YARK YARK YARK ! Bah alors c’est toi qu’tvas m’retaper la salle avant qu’j’rouvre l’tiot Murdock ?! yark yark ! »

COOOOOOOOOOT


Je sens d’ici l’haleine dégueulasse de Boll, tenancier du Bon Ratafia et le plus gros cul bordé de nouilles de l’île. Sur son épaule s’agite sa poule qui s’obstine à se prendre pour un perroquet. Ce gars pourrait dégoter une lime à ongles dans un panier de serpents, il me rigole à la face en lâchant des postillons de la taille d’un galion. C’est pas la première fois qu’un gus lui pète des meubles, mais c’est la première fois qu’il a pas à payer pour faire casser les dents du type pour qu’il vienne réparer.

« Commence par l’fond d’la salle l’tiot Murdock ! Yark Yark »

« Va demander à ton cuistot de me faire un poulet… Hmmmm Pfff… Le tien serait parfait… »

Je lâche une boule de fumée en ramassant les lattes de bois explosées, je sens l’abbé qui se penche vers moi tandis que Boll se barre en rigolant à s’en rompre le gosier en caressant les plumes de sa dulcinée. Il me murmure à l’oreille.

« Boll n’est pas un homme à avoir dans son dos »

« Et sa poule ? »

« Tsss… Dieu lui-même n’arriverait pas à te la retirer de là où elle pourrait s’enfoncer si tu ne suis pas mes conseils Attlas »

Gazahaha.

Les derniers copeaux de bois et les derniers clous sont foutus sous l’énorme tapis crasseux de l’entrée. J’ai pas le cœur de faire dans le détail pour un mec comme Boll, j’entends toujours son gros poulet qui piaille sur son épaule et qui tente un coup de bec à chaque fois que je passe sa hauteur. J’ai un de ces airs mauvais du type qui s’est fait exploiter pendant deux heures. C’est certain que sa bicoque, c’est moi qui l’ai explosé, mais je méritais pas de pas bouffer. C’est le prêtre qui s’était tapé le plat de volaille tout en me faisant un cours sur l’impact de dieu dans les villes démoniaques à tendance moniste. Tout un programme.

« Ton repaire de vipères est comme neuf… »

« Yark ! C’tit pas beau ça cocotte ? Yark Yark ! »

Alors qu’il recrache de nouveaux parpaings en se bidonnant, il fait rouler sur son comptoir un cigare dans ma direction. Il est pas mauvais finalement le bougre. Je lâche un grognement en guise de remerciement, je vais pas non plus baisser mon froc, quand je sens une main qui me tapote l’épaule.

« Je fume toujours après un bon repas »

Je hais ce prêtre.

Je lui tend le tube de tabac en lançant un regard vers Boll qui se fend la tronche. Autant pas en attendre un autre de lui, sale bougre.
Tout en s’allumant le tout, le Père me regarde dans les yeux avant de pousser la porte du Ratafia.

« Nous avons du travail Attlas…Hmmmm… Bonne journée Boll… Pshhh »

« Yark ! Quand vous voulez mon Père ! Attlas… Si l’envie te prend de rejouer au charpentier, tu connais l’adresse ! Yark Yark »

Je passe décidément de sales journées depuis que j’ai arrêté la picole. Tout en emboîtant le pas à l’Abbé, la voix graveleuse du tenancier me fait me retourner et un cigare se plante dans ma bouche, déjà fumant. Il rigole derrière son comptoir tout en rangeant sa boîte d’allumettes. Je lui esquisse un sourire cette fois-ci et je ferme la porte derrière-moi. Une dizaine de gars faisaient la queue en attendant la réouverture, ils avaient juste pris de l’avance sur les bienfaits de l’endroit et quelques-uns régurgitaient déjà leurs tripes. Le bon vieux temps.

« C’est quoi maintenant le programme ? Hmmm… »

« On a besoin d’argent »

Je lâche une épaisse fumée en attendant la suite qui ne vient pas. Il marche comme un petit vieux, les mains dans le dos et une nappe de fumigène lui emboitant le passage. Perché là où je suis, je souffle mon tabac comme un diable pour éloigner ses attaques de nicotine. Il prend un virage et s’engage dans une petite ruelle, je fronce les sourcils en voyant la silhouette du bâtiment pointu qui se dessine au loin.

« Je vois pas en quoi votre vieille église va nous aider l’Abbé »

J’ai jamais pu encadrer cette endroit, toujours cette même odeur du jour où je faisais du caté quand j’étais môme. Toujours les mêmes arbres crevés qui ne se décident pas à tomber, ces mêmes clodos qui ne se décident pas à clamser et ces mêmes lanternes qui ne se décident pas à éclairer. Finalement, on arrive face à la vieille porte en bois qui n’a de nouveau que le lierre qui grimpe sur ses gonds de ferraille. C’est le coin de Las Camp où il y a le plus d’herbes folles et le moins de quidams, on se croirait dans le trou du derche de la misère. Le vieux pousse la porte dans un grincement sinistre et l’entrouvre juste assez pour nous laisser la place de passer.

Une salle en pierres grises immense nous accueille. Des bans moisis, des cierges entièrement consumés, des gravures effritées, des statues brisées et un large rayon de soleil en plein centre témoignant d’un toit perforé. Je crame mon cigare dans l’eau bénite, respect oblige, l’Abbé continue comme si de rien n’était à crapoter dessus. Remarque, il est chez lui.

« Pour l'oseille, on balance trois Ave Luffia et c'est la richesse?»

« Hmmmm… Tu sais qui a fait ce trou dans le toit ? »

Rien à foutre.

« Ton père »

Et voilà, je peux plus n’en avoir rien à secouer.

« Qu’est-ce que t’as pu dire pour l’énerver à ce point ? »

« Oh, rien ! Il cherché juste l’argent de la quête de Père Robério et j’ai supposé qu’il était dans la toiture »

C’est quoi encore ces conneries. Il reprend en écrasant son cigare contre la stèle d’une statue.

« Il y a de ça cinquante années, mon prédécesseur est mort suite à un mariage, les mariages de l’époque étaient sacrément rythmés à Las Camp quand des pirates déboulaient au même moment. Toujours est-il que cet homme avait entreposé tous ses berrys à un endroit qui demeure introuvable dans l’édifice et Dieu seul sait que j’ai pu prier pour remettre la poigne dessus ! »

« Attend, tu veux dire que quand j’étais enfant de chœur et qu’on devait tout fouiller avec les autres gosses quand on nettoyait, c’était pour ça ? »

« Il n’y a pas de recherches inutiles »

Pauvre jeunesse.

« Toujours est-il qu’en cinquante années, je n’ai rien trouvé et que ton père n’a rien trouvé non plus lorsque je lui en ai parlé pour financer la république »

« Gazahaha ! Et qu’est-ce que cela à avoir avec moi ? J’ai rien d’un limier ! »

« Oui, mais toi Attlas, tu as le temps »

« Hein ?! Non, non, j’en ai rien à fout… »


Tap


« … Faire ! »

« On recrute personne sans argent et la salle sous le barbier est trop petite pour en faire le quartier général »

« Tu veux faire ça où l’Abbé ? »

« Ici, il faudrait être un fou ou un simple d’esprit pour rentrer dans cette église ! »

Je me gratte la tignasse en regardant autour de moi, je trouve rien à redire à tout ça, surtout qu’il y a pas mal de pièces dans le coin. Et puis je connais pas un gars à Las Camp qui oserait rentrer dans ce lieu, même pas un ivrogne, c’est dire.

« Admettons… Et vous, vous allez m’aider ? »

« Non, j’ai d’autres affaires qui m’attendent, si tu as faim, il y a des hosties dans le confessionnal »


Super.