Le diamant, on le taille par chez nous ! | Pv Gabi

Gabriel avait toujours été ignare des techniques de camouflage et de leur application.  Voire même qu’il était le pire dans ce domaine, du moins selon lui.  Chose certaine, épier quelqu’un ne faisait pas partie de ses atouts.  En dépit de sa médiocrité dans le domaine, cela ne l’avait pas empêché de s’amuser un peu lorsqu’il avait repéré non loin un sibyllin personnage qui avait tout l’air louche.  En temps ordinaires, le Capitaine ne portait qu’un intérêt minimal à ce genre d’individu, mais il était bénéfique pour lui de prolonger son séjour sur l’île et cette occasion était à ne pas rater pour parvenir à ses fins.  Et puis il fallait dire qu’il se faisait chier.   C’est donc avec un malin plaisir qu’il talonnait subtilement l’individu suspect durant de longues minutes, visiblement en quête de quelque chose.  Ce mystérieux quelque chose fut la seule raison qui le mena à poursuivre ses folies, autant que faire se peut.

Force était de constater qu’il avait eu raison de persévérer puisque le quidam venait de tomber sur quelque chose un poil intéressant.  Gabriel avait plissé des yeux puis courbé l’échine, de sorte qu’il puisse identifier ce qui s’apparentait à une crevasse.  La pierre se fendait en une ouverture béante, suffisamment grande pour que puisse se glisser un gabarit masculin.  Le roc avait été minutieusement taillé, ça ne faisait pas un pli, ce qui laissait croire que le passage devait mener vers un trésor amené de la main de l'Homme, dans le but spécifique de le dissimuler.  Le raisonnement était un peu ambigu, mais tout ça avait le mérite au moins d’être prenant.  Lui qui était fauché, il s’agissait là d’une opportunité de se refaire les poches, lors même que l’individu s’interpose entre Gabriel et son secret.

Nul besoin d’être pointé pour deviner qu’on s’adressait à lui.  Pas trop tôt, depuis le temps qu’il menait un raffut pas possible durant la traque.  D’autant plus que le toxicomane s’était privé de cigarettes pour ne pas que l’odeur vienne gâcher le peu d’efforts qu’il avait déployés à effacer sa présence.  Dorénavant démasqué, il pouvait se la couler douce.  Les tensions que provoqua le défi de ne pas être découvert trop tôt tombèrent d’un coup, et c’est dans un calme olympien qu’il abandonna son camouflage pour apparaitre au grand jour.  Une clope était déjà coincée entre ses lèvres, et bien qu’elle ne fût pas allumée, la seule sensation de garder à proximité sa drogue le rassurait déjà plus que si celle-ci reposait dans la poche de son veston.  Son regard balaya les environs comme pour s’assurer que rien ne viendrait troubler ce vis-à-vis, pour que puisse s’opérer les sombres desseins qu’il réservait à son interlocuteur.  Mais chaque chose en son temps.  D’une voix posée, alors qu’il faisait naitre une flamme via le briquet dont il s’était emparé, il lui adressa quelques mots pour la forme :

— Ouais, t’as raison, il était grand temps.

Il fit remuer la cigarette coincée à sa bouche afin qu’il puisse saisir le sens de ses paroles, puis il approcha celle-ci près du feu pour que puissent enfin s’opérer les effets néfastes de la nicotine sur ses malheureux poumons.  Une bouffée seulement lui permit de mieux se sentir, et c’est l’esprit littéralement en paix qu’il pouvait dès lors attaquer le problème, qui se présentait comme étant deux pirates pour un trésor.  Enfin, la conclusion était vite tirée; le personnage qui se tenait face à lui ne dégageait pas l’hostilité propre à tous forbans.  Il était difficile de se faire une idée de son interlocuteur, si ce n’est qu’il n’avait pas le caractère belliqueux que Gabriel avait espéré.   Un poil déçu par son analyse, cela ne l’empêcha pas d’imposer les règles de cet échange, sans nécessité préalable de décliner son identité.

— Pas de temps pour le thé, par contre.  Qu’est-ce que t’es venu chercher dans ce trou paumé ?

« Un trésor ».  C’était la réponse qu’il espérait.  Quoi qu’il en soit, bien que son hypothèse débouche lentement vers une vérité probable, il était préférable de poser la question avant tout, pour ne pas paraitre d’un con.  De nature à ne pas semer le trouble pour rien, seule la délicieuse piste de la richesse lui avait permis d’ignorer sa paresse.  Ils étaient en besoin urgent de Berries, et Jaqen, qui l’attendait sur leur navire accosté non loin, allait être ravi s’il pouvait ramener un coffre.  Peu satisfait du rythme auquel la discussion coulait, il porta une main à sa cigarette.  C’est à ce moment que le chasseur de trésor pouvait percevoir, s’il avait l’œil au bon endroit, que les jointures de sa dextre brillaient anormalement, comme si la peau à cet endroit uniquement avait été recouverte d’une matière similaire en tout point à… du diamant.

— Parle vite si tu tiens à tes dents.

Son regard sanguinolent perça l’individu sans pitié aucune.  Ce dernier avait beau afficher un air beaucoup trop pacifique, la situation exigeait que Gabriel fasse preuve d’un peu de brutalité, afin de pouvoir mettre la main au plus vite sur le trésor.  Après tout, quand il s’agissait d’argent, au diable la bonne conduite!

La végétation était dense.  Les rayons avaient grand peine à percer la verdure, mais la chaleur réussissait tout de même à s’insinuer à travers les feuillages, venant plonger les acteurs dans une canicule que Gabriel trouvait personnellement irritable.  Cela va sans dire que le personnage n’avait jamais été un grand amoureux du vert.  C’était on ne peut plus logique si on considérait qu’il naviguait sur les eaux depuis sa tendre enfance, et que la seule période où il avait été sédentaire ne représentait qu’un cauchemar à ses yeux.  L’air était meilleur sur la mer; le vent, frais, et palpable était la liberté qui l’avait toujours animé.   Sans que cela ne change quoi que ce soit à sa condition, il tira un instant de sa dextre gantée partiellement de diamants le col de sa chemise pour y laisser pénétrer le zéphyr presque inexistant de l’endroit.  

Lorsque le rire de son interlocuteur se répercuta en écho contre son tympan, aucune réaction, et ce fut de même quand il crut entendre ce dernier lui donner quelques conseils, tout en le considérant avec un dédain innocent, probablement dû à la différence d’âges qui les séparait.  Certes tout cela tendait à l’énerver lorsqu’il arrivait qu’on prenne son attitude à la légère, mais il avait sa cigarette pour se calmer l’esprit, d’autant plus que le rire moqueur qu’il lui sembla entendre était empreint d’une gaieté qui eut au moins le mérite de sauvegarder son sang-froid.  Son vis-à-vis ne répondait clairement pas à la belliqueuse introduction de Gabriel sur le même ton.  Cela lui sauverait peut-être quelques dents, qui sait… ou pas.

Toujours est-il que l’historien avait le don pour négocier, ou du moins retarder sa mort.  En pareille situation, même si Gabriel se montrait aussi asocial qu’une loutre, il avait réussi à l’aiguillonner sur un marché prenant et c’était tout à son honneur, puisque résulta de cette proposition intéressante une absence de volonté d’aller cogner.  Pour preuve, les jointures de la dextre qui avait pour rôle de tenir sa cigarette venaient de reprendre leur apparence d’origine.  Le diamant s’étant entièrement résorbé, il n’y avait dans l’instant plus de risques – quoiqu’il ne lui suffise que de quelques secondes pour se nantir derechef du minerai écarlate en vue de frapper.  Entendre parler d’une probabilité élevée de Berries dans cette caverne était alléchant.  Sa triste poche vide en tremblait d’excitation.  Et l’intérêt né de cette discussion prit en proportion lorsqu’on lui offrit un œil sur l’unique raison de la présence du vieux en ces lieux.  

Un sourcil fut arqué dès que ses yeux sanguinolents reconnurent une marque familière à celles qui hantaient le jeune Capitaine.  À la différence qu’elle était unique et d’une taille loin d’être anodine, sa balafre était comparable aux siennes, à un point tel qu’il saisit toute l’ampleur de la situation lorsque le mot « remède » fut transporté jusqu’à lui.  Ça ne faisait aucun doute que ce devait être douloureux, même si la peau avait cicatrisé.  D’autant plus que c’était loin d’être esthétique.  Certes, ça venait ajouter en virilité, mais les femmes n’appréciaient pas toujours ce genre de tatouage.  Gabriel en portant à même son visage. Il était de ce fait le mieux placer pour témoigner du dégoût que cela générait chez certaines cinglées.  Ce qui lui démangeait de savoir, c’était la signification du mot « remède ».  Sous quelle forme exactement se présentait-il?  Gabriel ayant trouvé son soulagement ailleurs, soit dans un amalgame d’alcool, de nicotine et d’analgésiques, il avait tout intérêt à mettre lui aussi la main sur quelque chose de moins nocif, quoique cela n’était pas pour lui déplaire que de fumer et boire à journée longue.

— J’ai eu droit à mon lot aussi.  Mais je te montrerai pas, car cela voudrait dire de tout enlever.  

Et pour procéder à son tour à une petite démonstration, il tourna légèrement de la tête pour que l’historien puisse avoir une vue sur la balafre à sa joue que rien ne saurait camoufler efficacement.  Quelques secondes furent sacrifiées afin qu’il puisse réfléchir à sa proposition.  Il était vrai qu’il était en besoin urgent de quelques Berries, et même si leur existence ne reposait que sur des on-dit, ça valait le goût de se risquer.  Si, de surcroît, il y avait là-dedans un remède aux cicatrices, rien ne l’empêchait d’y jeter un œil et, considérant que l'envie lui prenne, de le dérober.  La traîtrise, c’était son rayon.  Puis il était improbable de faire face à des dangers dont il ne pourrait affronter.  Si ce n’est que quelques pièges, et dans le pire des cas une poignée de bandits lambda, pourquoi pas.  Ravi de sa méditation, il dévora la distance qui le séparait de son interlocuteur, mais avant de prendre la tête de leur maigre équipe, s’arrêta pour lui offrir la flamme de son briquet, tendu vers lui.

— Sers-toi.

Et Gabriel s’engouffra le premier dans les ténèbres, démuni de toute peur.  C’est dans un corridor qu’il arriva.  Plutôt étroit comme chemin, mais qui débouchait probablement vers une grande salle, pour peu qu’il se donnât la peine de le sillonner.  La main sur la paroi, il longea cette dernière à l’aveuglette, éclairé uniquement par les rayons qui parvenaient à s’insinuer timidement dans la crevasse, sans pour autant pouvoir illuminer convenablement la route.  Si dans la forêt il s’était senti étouffé par la chaleur et le manque d’espace, il n’était pas mieux servi dans un pareil endroit.  Non pas qu’il était claustrophobe, mais à vrai dire, se sentir loin de la mer et des grands espaces bleus le rendait irritable.  C’était comme lorsqu’il tombait en sevrage.  Peu accoutumé de se plonger tête première dans des trous, son avancée était lente et prudente, trop ignare de ce qui l’attendait dans la noirceur pour se mettre à courir à la recherche de plus d’espaces.  Durant un bref instant, il regretta même de s’être autoproclamé premier du peloton miniature.

Avant qu’il n’échappe un juron, le voilà qu’il retrouvait une semi-liberté dans une alcôve un peu plus grande pour que puisse se tenir sans embarras les deux acteurs de cette fantastique expédition.  L’air n’était pas des plus frais, mais il fallait avouer qu’une grande bouffée fut tout de même bien accueillie par ses poumons qui s’intoxiquaient déjà à cause de la cigarette.  Son regard balaya l’endroit sans pour autant déceler un quelconque trésor – qu’il s’imaginait bien sûr sous la forme d’un coffre brillant à même la noirceur.  Sans même vérifier qu’un autre passage lui fut ouvert, il reposait déjà tous ses espoirs sur son compagnon, cela sans abandonner une seule fois le calme qui l’avait toujours habité depuis les présentations.

— J’espère que tu sais où aller dorénavant.  Je fais pas trop dans le Indiana Jones, si tu vois ce que je veux dire.  Et si tu pouvais te magner, que je reparte avec mes Berries.  J’ai pas que ça à foutre que de redécouvrir les vestiges d’une civilisation lambda.

Il tira sur sa clope et trouva appui sur le mur, attendant dans une patience feinte les instructions, alors que le confort de l’endroit ne lui seyait apparemment pas.  Quelle idée aussi de planquer un trésor dans un endroit pareil.  Autrefois, les pirates avaient la bonne habitude de creuser à même le littoral pour y dissimuler leurs objets de valeur.  Parce qu’il s’emmerdait, Gabriel le soumit à une question parmi les nombreuses qui cherchaient toujours réponse, sans espoir réellement qu’il décide d’échanger avec lui.  Il avait quand même fort à faire le petit archéologue…  D’un visage qui cachait habilement sa curiosité, il parla, non sans avoir préalablement recraché un peu de fumée.

— Ce remède, c’est quoi au juste, vieux?